Rentrée littéraire A propos d’une gravure AVOGNE, « élégant, cultivé, à la fois riche et généreux, nonchalant et courageux », était critique d’art, spécialiste de CONSTABLE. À travers le prisme des regards de sa famille et de son petit neveu, Jean, nous découvrons sa vie : ancien combattant de 1914, il a sauvé un juif de la déportation pendant la seconde guerre mondiale. Jean, journaliste, est envoyé par son patron à Venise pour couvrir une exposition organisée par Elisabeth DORNTON. Il découvre, à cette occasion, une gravure de CONSTABLE, « ovni » de l’exposition. Il n’y a, en effet, qu’une gravure de ce peintre laquelle représente un cénotaphe au milieu d’une forêt avec un cerf et entouré de deux bustes : MICHEL-ANGE et RAPHAËL. Comment cette gravure devient-elle le sujet essentiel des discussions au cours d’ultérieures rencontres avec Elisabeth DORNTON, en Inde… Hasard ou préméditation ? Le fait est que ce cadre de CONSTABLE réveille la curiosité de Jean qui se remémore le récit d’une visite rendue dans Paris par son oncle DAVOGNE à un galeriste juif pendant l’Occupation. Il se rend à cette adresse avant même qu’Elisabeth DORNTON ne lui remette cette gravure du cénotaphe qu’elle tient de son grand-père… Qui est cet oncle ? Cette phrase à propos de DAVOGNE : « Apparemment élégant, mais probablement trop soucieux de contacts sociaux pour conserver une parfaite probité morale »… Alors, il n’y aurait pas de doutes ? Et pourtant, on peut s’interroger : pourquoi le galeriste qui semble avoir compris l’ambiguïté de DAVOGNE qui travaillait à lui procurer un ausweis ne l’a-t-il pas écouté ? Pourquoi n’a-t-il pas renoncé à ses biens et fui à l’annonce qui lui était faite de l’intérêt porté par les occupants à ses tableaux, donc à sa personne ? Pensait-il qu’il n’avait plus aucune chance de conserver ses biens et de quitter le pays ? Aurait-il pu les abandonner et partir ? Si oui, sa lettre posthume ressemble à une vengeance ultime d’outre-tombe. Mais alors, pourquoi ce seul destinataire ? Pierre LAFONT nous offre une promenade dans la Venise qu’il aime et nous emmène en Inde, à Bénarès et à Khajuräho. Prétextes heureux que ces déplacements, car n’est-ce pas la fragilité des êtres qu’il D nous propose d’approcher ? Nos propres renonciations, nos fatigues, nos acceptations, nos absences de rébellions ? Pierre n’est pas le premier avocat écrivain, mais c’est un écrivain qui nous interroge avec une très grande subtilité sur les méandres des motivations profondes des êtres. « Cénotaphe, gravure », Pierre LAFONT Ed DOMENS, Collection Littérature, Editeur imprimeur à Pézenas, 12 €. La description d’un tableau a récente petite collection EKPHRASIS (ΈΚΦΡΑΣΙΣ, description) a pour ambition de porter des « regards littéraires sur des trésors de peintures » : un musée, un écrivain, une œuvre. La tour de Babel, telle est l’œuvre de Pieter BRUEGHEL l’Ancien dont la description a été confiée, avec bonheur, à Jean-Marie BLAS de ROBLÈS. La première vision de cette tour de BABEL au prisme du regard de l’archéologue contemporain qui nous y entraîne est enthousiasmante : sept étages d’amphithéâtres concentriques1 avec « entre le sixième et septième étage une nuée… accrochée, rappelant les cimes de l’Etna ou du Vésuve »… S’ensuit une description de la tour, toujours en construction et le hissage de la chaux et des briques vers le sommet qui expliquent les traînées blanches et rouges sur sa partie opposée à l’Euphrate. Cette tour est tellement immense « qu’il faut en réparer les soubassements alors même que ses étages supérieurs ne sont pas encore finis ». Et l’activité est si intense que les soldats censés maintenir l’ordre « ont fort L 1. Cette référence « nuancée » à Hérodote d’Halicarnasse (qui décrivait une superposition de huit tours), nous fournit une nouvelle occasion de retrouver l’immense érudition de l’auteur, pas « normal ». 58 • LA REVUE DE L’AVOCAT CONSEIL D’ENTREPRISES • SEPTEMBRE 2012 • N° 121