Le mot du Président Les Avocats dans la Cité R © MilenaP, www.milenap.com approcher les avocats du monde de l’entreprise n’a pas seulement un intérêt catégoriel, mais participe de l’intérêt général. Les ministres de la Justice et de l’économie en avaient une juste conscience lorsque, conjointement, elles avaient missionné Michel Prada pour rédiger un rapport sur la question. Le rôle social des Avocats devrait être, pour tous, une évidence. Auxiliaires de justice, nous participons d’un équilibre fondamental qui permet à toute personne d’être assistée pour que ses droits soient scrupuleusement respectés. Aussi bien en matières judiciaire que juridique, le recours à l’avocat donne à chaque client la plénitude d’une sécurité qui est garante de l’apaisement social, et pour l’économie, d’un marché équilibré. Notre déontologie justifie le rôle qui nous est dévolu. C’est parce que nous avons un secret absolu, un refus sans concession de tout conflit d’intérêt, une indépendance intellectuelle constante et une exigence de compétence que la société peut se reposer sur nous en toute confiance. Ces atouts sans équivalents ont justifié que la loi ait reconnue une valeur particulière aux actes que nous rédigeons depuis toujours. Ils nous ont permis aussi d’étendre le champ de nos activités, pour devenir progressivement fiduciaires, mandataires sportifs ou en transactions immobilières, car les clients savent que dans ses fonctions nouvelles nous les sécurisons plus que tout autre. Le terme de « tiers de confiance » en matière fiscale n’est pas anodin, c’est bien en toute confiance qu’on peut s’adresser à nous. Notre place auprès des entreprises est donc une garantie de sécurité juridique pour celles-ci. Pourtant, force est de constater que cette place, et plus généralement la place du droit, est insuffisante. Dans l’intérêt des entreprises, pour leur plus grande sécurité, nous avons prôné le droit d’exercer notre activité en leur sein, d’être avocats en entreprises, à la condition absolue de ne pas seulement conserver notre titre mais également notre statut, car c’est lui qui est protecteur et est aussi indispensable à nos clients qu’à nous mêmes et notre unité. Première démonstration de cette unité, nous ne rejetterions plus ces avocats qui chaque année, pour exercer en entreprise, doivent à regret abandonner une profession qu’ils aiment et qu’ils ne pensent pas trahir en changeant de lieu d’exercice... Mais cette réforme importante ne concernerait qu’une part infime des entreprises, qui ont déjà, de par leur taille et leur activité, la conscience qu’un avocat est indispensable. Or, sur près de trois millions d’entreprises recensées par l’INSEE, nombre d’entre elles n’ont pas développé ce réflexe, sauf lorsqu’elles sont objets d’une procédure. Notre déontologie et notre compétence n’ont donc pas suffi pour le moment à faire naître le désir de la majorité des entrepreneurs de confier la défense de leurs intérêts juridiques à un avocat. Il est vrai que notre communication institutionnelle ne s’est que très peu adressée aux entrepreneurs : pour être désirés, il faut préalablement se faire connaître. Le Conseil National des Barreaux étudie actuellement une réorientation de la politique de communication de notre profession qui sera salutaire. Faut-il aller au-delà en imposant légalement dans certaines circonstances le recours à l’avocat, comme l’évoque le Barreau de Paris avec le projet d’un commissariat au droit ? Il ne s’agirait évidemment pas d’un équivalent parfait du commissaire aux comptes, soumis à une obligation de révélation de faits délictueux qui serait contraire à nos principes essentiels et notamment notre secret professionnel et notre indépendance à l’égard des pouvoirs publics. Cette hypothèse est rejetée sans ambiguïté par le projet. Le principe même d’une obligation peut soulever des interrogations. De partenaires choisis auxquels on peut librement se confier, nous deviendrions contrôleurs imposés... Un glissement délicat qui nous ferait quitter notre rôle traditionnel de conseils, à tout le moins pour ceux d’entre nous qui adopteraient des missions de contrôle, les deux fonctions ne pouvant être cumulées. L’organisation de nos cabinets, et à terme de notre profession, s’en ressentirait sans doute. Mais quels qu’en soient la dénomination et les contours exacts, le projet de commissariat au droit mérite une réflexion particulière car il pointe l’attention sur un élément essentiel que nous ne pouvons ignorer : faute d’avocat ou de juriste, les entreprises sont dans leur écrasante majorité en situation d’insécurité totale, confrontées à des obligations juridiques croissantes, ainsi en matière de certification, notamment RSE. Elles se trouvent dramatiquement démunies, laissés entre les mains de professions faussement compétentes en droit, voire d’officines. Cela, les avocats ne peuvent l’accepter. Entre le conseil choisi et la certification imposée, il y a peut-être une autre dimension qui mérite d’être explorée : celle de l’incitation. Le label de qualité donné aux actes d’avocats s’accompagnait d’une sécurisation et d’une force accrues. De même, l’intervention d’un avocat, interne ou externe, devrait pouvoir donner un label de qualité aux entreprises dont elles tireraient des avantages sans avoir à les forcer, à les contraindre. L’incitation peut revêtir plusieurs formes. Le droit pénal des affaires donne des pistes de réflexion. Ainsi, en matière de lutte contre la corruption, les lois suisse, italienne ou britannique (Bribery Act) écartent la responsabilité pénale des entreprises dès lors qu’elles ont mis en place des procédures internes de prévention. L’intervention d’un avocat interne ou externe pour assister l’entreprise, et donc la sécuriser, en mettant en place des règles internes de compliance, en qualité de conseil et non de contrôleur, pourrait être ainsi valorisée. Il y aurait là une nouvelle reconnaissance légitime de notre rôle social, dans l’intérêt général. Le débat est ouvert, il est passionnant, et il se poursuivra naturellement durant notre congrès. William FEUGÈRE, Président national SEPTEMBRE 2012 • N° 121 • LA REVUE DE L’AVOCAT CONSEIL D’ENTREPRISES • 3